Holding et Ferrari: le "laboratoire citoyen" Majorelle soupçonné de fraude fiscale
21 juillet 2020
Sur leur site internet, les Laboratoires Majorelle se présentent comme "le 1er laboratoire citoyen" français, soit une alternative éthique et sociale à la big pharma. Un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 juillet 2020 révèle pourtant que des perquisitions ont été menées l'année dernière pour soupçons de fraude fiscale en lien avec la holding luxembourgeoise du groupe, chargée de gérer les droits de propriété intellectuelle des médicaments commercialisés.
Le business model des laboratoires Majorelle est le suivant: depuis sa création en 2012, la société identifie "des molécules sous-exploitées dont le brevet a expiré et les redéveloppe pour les amener jusqu’au marché". Parmi la liste des produits que la société commercialise, on trouve le préservatif remboursé sur ordonnance, des pilules contraceptives (numéro 1 dans la contraception orale en France) ou, plus récemment, des gels hydroalcooliques. Autre succès récent: le remboursement intégral par la Sécurité sociale de ses masques pour les personnes à risque en période de pandémie de Covid-19.
Sur le papier, l'objectif est noble: le laboratoire explique vouloir "corriger les inégalités et les dysfonctionnements de marché afin de permettre un meilleur accès aux médicaments essentiels au plus grand nombre et en particulier aux plus démunis". A l'inverse des firmes pharmaceutiques classiques, la rentabilité économique ne serait pas le premier critère des Laboratoires Majorelle.
"Nos produits sont proposés à des prix responsables et permettent ainsi à la Sécurité Sociale de réaliser d’importantes économies", peut-on lire sur leur site, qui cite parmi ses partenaires plusieurs institutions publiques, comme la Haute autorité de santé ou l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).
Mais si les Laboratoires Majorelle font faire des économies à la Sécurité sociale, Bercy de son côté s'estime lésé.
La gestion des droits de propriété intellectuelle des médicaments qu'elle produit est en effet gérée depuis une holding luxembourgeoise, Majorelle International. Associée majoritaire des laboratoires, c'est elle qui centralise les revenus tirés des autorisations de mise sur le marché.
Pour la Direction nationale d'Enquêtes fiscales (DNEF), la localisation de Majorelle International au Grand-Duché pose problème. Les enquêteurs soupçonnent en effet la holding d'exercer en vérité son activité depuis le territoire français... sans y payer d'impôts.
Pour justifier ses soupçons, l'administration fiscale met en avant le fait qu'au Luxembourg, Majorelle International ne disposerait que d'une adresse de domiciliation au siège d'un cabinet d'avocats. Et qu'un co-fondateur des Laboratoires Majorelle, mandataire auprès de l'INPI (Institut national de la propriété industrielle) pour enregistrer les marques de la société et rémunéré pour cela par Majorelle International, "dispose de centres d’intérêts familiaux et professionnels" en France, dont un bien immobilier et une Ferrari immatriculée à Paris.
"Ainsi, conclut le fisc, Majorelle International serait présumée disposer d’un centre décisionnel en France, lieu des intérêts professionnels et personnels de son gérant salarié".
Une série de perquisitions, autorisées par le Tribunal de grande instance de Paris, ont eu lieu en janvier 2019. Outre les Laboratoires Majorelle, elles ciblaient trois sociétés liées au groupe: Majorelle International, les Laboratoires Major, Axcel Loisirs France ainsi que deux sociétés civiles immobilières (SCI): Telouet Berri et Le Beauhavre.
Le laboratoire les a contestées dans la foulée et a déposé des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à leur sujet, critiquant notamment le fait "que les visites et saisies ne sont pas limitées à la recherche de la preuve des cas les plus graves de fraude fiscale". Cet argument a été rejeté en appel.
Les Laboratoires Majorelle sont défendus par Eric Planchat (Nataf & Planchat) et la DNEF par Jean di Francesco (Urbino Associés).
Document lié à cet article:
Cour d'appel de Paris, pôle 5 - ch. 15, n° 19/19878 (8 juillet 2020)